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 | | aus der Serie Invent arisiert, 2000, Farbfotografie, 20 x 25 cm. | |
| Lyon: Septembre de la photographie 2006 (1)
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Praktische Informationen
Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation
14 avenue Berthelot
+33 4 78 72 32 11
Öffnungszeiten: von Mittwoch bis Freitag 9 Uhr bis 17 Uhr 30
Samstag und Sonntag 9 Uhr 30 bis 18 Uhr
Accès :
Vélo’v
Métro Perrache ou Jean Macé
Tram T2, arrêt Centre Berthelot
Contact presse :
Magali Lefranc
04 72 73 99 06
Presseaussendung
(in französischer Sprache)
Arno Gisinger, photographe et historien de formation, réalise Invent arisiert en l’an 2000, à la demande du Mobilier national autrichien (Hofmobiliendepot). Il photographie des centaines d’objets arrachés à huit familles juives en 1938, avant de les retourner (en partie) à leurs propriétaires soixante ans plus tard. Cette œuvre s’inscrit pleinement dans la continuité de sa réflexion sur la représentation visuelle de l’Histoire et de la mémoire.
Un travail mémoriel
Après l’Anschluss, en 1938, l’Allemagne étend ses pratiques d’aryanisation à l’Autriche : les familles juives sont systématiquement dépossédées de leurs biens. D’abord de façon sauvage avec les pillages, puis en toute légalité lorsque l’État autrichien réglemente cette pratique. Sous le couvert des lois nazies, des milliers d’objets sont réquisitionnés au profit de l’administration. Les meubles, les peintures, les biens de grande valeur sont bien sûr prélevés, tout comme les choses les plus ordinaires du quotidien : des couverts pris dans un tiroir ou du linge tiré d’une armoire… La moindre possession est annihilée.
Beaucoup de ces biens sont demeurés dans le patrimoine autrichien après la guerre, et certains ont même continué à être utilisés « normalement » dans les administrations. Jusqu’en 1994, on retrouve du mobilier dans des bureaux ministériels, des ambassades voire des théâtres, sans que leurs utilisateurs aient nécessairement eu connaissance de leur provenance.
En 1998, l’État autrichien affirme sa volonté de restituer leur dû aux descendants des propriétaires. Le Hofmobiliendepot initie une recherche historique pour identifier tous les objets issus du processus de spoliation avant de les rendre définitivement à huit familles.
Une démarche résolument artistique
Cette installation, inscrite dans une démarche mémorielle, n’a néanmoins pas une vocation explicative et didactique. C’est avant tout une œuvre d’art qui nous rappelle la généralisation, la légalisation et la normalisation d’actes barbares.
Elle prend toute son ampleur quand on la découvre dans son ensemble : chaque photographie prise individuellement montre sans surprise des objets personnels, alors que la succession et l’accumulation des clichés renvoient l’image de la démesure des exactions nazies. Les nombreux éléments manquants, disparus au fil des années, figurent également au milieu des objets restants, comme un rappel du vide et de l’absence. Enfin, la rigueur de l’accrochage, miroir de la barbarie dissimulée derrière la bureaucratie, accentue le malaise en évoquant froidement le caractère méthodique des spoliations.
Destinée initialement aux Viennois, Invent arisiert n’en est pas moins significative en France, car le face à face avec ce mur d’image conduit le visiteur à prendre conscience des réalités de la dictature nazie et rappelle que les Juifs de France ont, eux aussi, été victimes des spoliations.
Pour mieux appréhender l’œuvre, le public sera aiguillé par un document d’aide à la visite avec des pistes d’interprétation et des clefs pour mieux comprendre le discours de l’artiste.
À l’occasion de sa première participation à Septembre de la photographie, le Centre d’Histoire présente donc une exposition originale dans son approche : une convergence de l’art et de l’histoire. Esthétique de l’archive, dénonciation de l’administration totalitaire, Invent arisiert résonne comme le témoignage d’une actualité du passé.
L’inventaire d’Arno Gisinger : scénographie de l’absence, susciter la présence
Begleittext von Robert Dulau (in französischer Sprache)
12 mars 1938, l’armée allemande occupe Vienne.
14 mars 1938, venue d’Hitler à Vienne.
15 mars 1938, Anschluss : proclamation du rattachement de l’Autriche à l’Allemagne nazie.
10 avril 1938, référendum : 99,73% des Autrichiens se prononcent pour le rattachement à l’Allemagne.
Dès 1938, spoliation des biens juifs autrichiens par la Gestapo.
1946 – 1949, invalidation des actes juridiques de la période nazie.
1998, L’Etat autrichien entame un processus de restitution des biens spoliés aux propriétaires ou à leurs descendants connus.
C’est à partir de ce matériau historique qu’Arno Gisinger a réalisé à Vienne en l’an 2000 une scénographie particulièrement inspirée de ces événements. Cette exposition intitulée Invent arisiert est aujourd’hui accueillie dans le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon.
Le titre même de l’exposition est loin d’être neutre. Il associe dans un néologisme les deux verbes inventarisieren (inventorier) et arisieren (aryaniser). Un inventaire s’applique au recensement d’une collection d’objets d’art, à une liste de biens dressée en vue d’un partage, mais il a le plus souvent une connotation commerciale. Chaque année l’artisan, l’entreprise, dresse une liste des marchandises restées en réserve à ce moment-là, stock, fiches de compte… Et généralement le magasin est alors fermé, fermé pour cause d’inventaire. L’« aryanisation » est un euphémisme inventé à l’époque par les nazis pour nommer la spoliation des biens juifs.
L’inventaire dont il est question dans cette exposition rappelle, lui, implicitement la mécanique minutieuse qui a présidé à la spoliation et qui consiste, à l’instar de l’entreprise, à dresser, énumérer et numéroter des biens divers ; mais ici il s’agissait de biens appartenant à des personnes, des familles juives de la communauté autrichienne, procédure qui annonçait par là-même leur prochaine disparition. D’emblée le visiteur est renvoyé à la logique d’un processus aveugle, confronté à un appareil administratif qui se déploie, agit, travaille, sans que jamais n’apparaisse le souci d’une justification, d’un simple pourquoi. Une logique comptable implacable.
Toute la singularité et la puissance du travail d’Arno Gisinger s’expriment dans le parti qu’il a choisi d’adopter pour évoquer ces événements tragiques. Sa scénographie ne cherche pas à avoir de vertu démonstrative ; elle est utilement dépouillée, proche du regard d’un entomologiste. Il aurait été sans doute possible d’inscrire les images dans le pathétique, d’user du sentiment, de mettre au regard du spectateur les objets avec leur passé, leur usure, leur oubli d’y adjoindre des photographies vieillies, encore existantes des anciens propriétaires au sein de leur appartement.
L’artiste, dans cette exposition, ne flatte pas l’émotion, il la met à distance, il ne se situe pas davantage dans une perspective historiographique. L’ensemble des faits dans leur enchaînement, leurs péripéties et leur ultime résolution ne sont pas relatés dans le menu.
L’intention est ailleurs. Arno Gisinger s’est emparé d’un vide déjà existant, celui d’une histoire ensevelie, lointaine et il a choisi le mode de l’absence : représentation ou non des objets disparus, mémoire déjà enfouie de leurs propriétaires.
Et pour dire toute l’absurdité, évoquer le pressentiment du drame qui allait se jouer, les images placent le spectateur dans une perspective minimaliste ; l’artiste choisit la presque dématérialisation de l’événement. Il traite des faits, en usant de la même distance que le processus lui-même avait instaurée initialement dans l’exercice systématique de dématérialisation des objets et de celles des êtres. Il y a chez Arno Gisinger le maniement d’un superbe paradoxe, qui ne cesse d’alerter le spectateur, l’incite à se mouvoir dans un constant et inconfortable balancement, à naviguer dans des couples de contraires et des dissemblances : identité perdue et recouvrée, ordre rationaliste et folie de l’ordre, innommable et dicible, rayer et renommer…
Ainsi, c’est à la vision des objets emblématiques de ce processus de déshumanisation, c’est-à-dire à de simples fiches, que l’on est confronté. Les images dévoilent donc des listes avec parfois l’image d’un objet, des listes mentionnant dans leur obligatoire sécheresse et leur implacable objectivité un état des lieux connu ou inconnu. Seul le numéro d’inventaire est systématiquement écrit et lui seul peut s’arroger l’apparence de la réalité : et pas un seul nom n’accompagne la liste, pas une seule référence au propriétaire de l’objet. Il fallait bien pour devenir « aryens », pour être « aryanisés » que les objets spoliés aux juifs soient requalifiés par les nazis, inventoriés. Quant au reste, il s’agit de phrases brèves, laconiques : un lieu de séjour, une disparition de l’objet pour fait de guerre, un objet vendu à un privé, un objet rayé de la liste de l’inventaire ou placé dans le dépôt des objets mobiliers de Vienne, un objet rendu à un descendant…Formules lapidaires tentant de reconstituer l’errance des objets et qui, détachées de leur contexte initial, creusent au fur et à mesure de leur lecture un éloignement funeste.
L’absence s’exprime aussi dans l’agencement des images-fiches et dans la répartition des espaces entre vide sans objet et presque vide avec objet, qu’une simple ligne de démarcation partage.
Quand l’objet n’existe plus, et c’est le cas le plus fréquent, le registre supérieur est occupé exclusivement par sa désignation : boîte miroir, chaise, fauteuil, table de nuit, vase… L’espace gris prend la juste place de l’objet effacé, gommé, soustrait, en proportion même d’une photographie impossible à réaliser. Univers furieusement ordinaire, sans aucune œuvre d’art, liste qui en toute ironie ferait presque sourire, phrases sans verbe, allusion à une série à la Prévert ! Les lettres ont beau s’étirer en caractères blancs comme s’il s’agissait d’un titre, d’un énoncé, d’un générique et nulle suite, nulle histoire. Double absence en l’occurrence, la représentation même de l’objet étant devenue « inmontrable », indémontrable.
Cette désignation disparaît quand l’objet survient, mais sa présence sur fond gris-noir, gris bleuté ne peut davantage remplir l’espace. Il s’agit là, dans l’installation d’Arno Gisinger, d’une mise en abîme. L’image évoque une sorte de plateau, une pseudo-scène, un espace convenu ; geste furtif comme on déroule un tapis usagé dans un marché, pauvre stratagème destiné à accueillir la soi-disant chaise, le soi-disant lustre ou canapé. Solidement ancrés, posés sur un sol lisse sans profondeur et obscur, ils n’en acquièrent pas pour autant une véritable existence. Il s’agit davantage d’objets témoins, d’articles de démonstration, de foire, sans valeur, sans intérêt. Et toujours s’inscrit une séparation, franchement signalée, un espace gris pour le haut, un espace brun-noir pour le bas, simple juxtaposition d’une image réduite à deux dimensions. L’espace ici n’a ni relief, ni perspective : à leur point de rencontre la ligne continue n’appelle aucun horizon, aucune échappée.
Les images d’Arno Gisinger, répétitives, occupent l’ensemble des cimaises. L’impression cumulative de ces inventaires, de ces séries qui se déroulent en boucle, traitées au même format, avec la même prise de vue, accompagnées ou non de la représentation d’objets s’inscrit au regard avec une lancinante force de persuasion. Par la contemplation des images, le visiteur parvient insensiblement à saisir l’essence même de l’absence, quand les choses familières ont été dissoutes, avec les êtres définitivement absents qui les ont animées.
Mais cette absence à force d’être déclinée, répétée, scandée dans son inébranlable rigueur, devient alors tellement éloquente, que mystérieusement elle se mue peu à peu en une présence presque assourdissante, aveuglante. La zone de confluence entre absence et présence est ici désignée, se pénètre, se confond presque, pour ne laisser plus subsister que la double interrogation qui jamais ne recevra sa réponse.
Le doute de la présence, le mystère de l’absence.
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