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 | | aus der Serie Betrachterbilder, Farbfotografie, 1998, 124 x 151 cm. | |
| Lyon: Septembre de la photographie 2006 (2)
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Artikel von Clément Chéroux über die Serie Betrachterbilder,
erschienen in Art Press (2001), in französischer Sprache
Dans son dernier ouvrage, History : Last Things before the Last (1969), Siegfried Kracauer avait analysé la profonde affinité qui associe l’histoire à la photographie dans leurs manières de retranscrire la réalité. C’est indéniablement dans la droite ligne de cette pensée que se situe le travail de l’artiste autrichien Arno Gisinger. Photographe et historien de formation, il mène, depuis près de dix ans, une réflexion photographique sur la représentation de l’histoire. En 1994, une première série portait sur la manière dont le village martyr d’Oradour-sur-Glane avait été constitué en lieu de mémoire. Plus récemment, un autre ensemble d’images abordait la question de la spoliation des biens juifs, à Vienne, pendant la Seconde Guerre mondiale.
Au premier abord, il semble difficile de rattacher la série qui est actuellement exposée à Paris à la préoccupation du photographe pour l’histoire. On serait davantage tenté de l’inscrire dans la tradition des portraits de regardeurs : ceux de Thomas Struth dans les musées, de Bill Henson à l’opéra, ou de Paul Graham devant la télévision, pour ne citer que les exemples les plus contemporains. Pour comprendre ce en quoi les images de Gisinger ne sont pas une simple réitération – sur le modèle de l’arroseur arrosé – du regardeur regardé, mais prolongent davantage sa réflexion sur l’histoire, il faut se demander ce que contemplent ces quidams.
Ils regardent une bataille, avec ses mouvements de troupes, ses corps à corps furieux et ses légions de morts effroyables. Une bataille qui opposa le 13 août 1809 l’insurrection populaire tyrolienne aux armées d’occupation françaises et bavaroises. Ceux qui contemplent ce carnage se trouvent en fait dans l’un des derniers panoramas d’Europe, ces spectacles optiques qui firent fureur au XIXe siècle en reconstituant des vues de villes ou des scènes historiques fameuses. Ils sont situés sur une rotonde centrale, entourés sur 360° d’une toile de plus de 1000 m2 et d’un “ faux terrain ” qui en prolonge l’illusion par l’artifice de la troisième dimension.
C’est précisément cette position centrale du regardeur, au cœur du panorama, dans l’œil du dispositif, qui a intéressé Gisinger, comme elle avait autrefois éveillé la curiosité de Foucault à l’égard du Panopticon de Bentham. Car cette position est la garantie de l’illusion. S’il prenait au spectateur l’envie d’entrer dans l’image, en sautant la balustrade qui le sépare du faux terrain et de la toile, il romprait définitivement l’artifice du dispositif perceptif. Cette mise en scène de l’illusion est aussi celle de l’histoire. Si la place du spectateur est le gage du simulacre, elle impose, en même temps, une vision contrainte et déterminée de l’événement historique. Fermement assigné par le dispositif à une place fixe et centrale, le spectateur ne peut avoir qu’une perspective unique et figée sur ce qui lui est donné à voir : l’image et l’histoire. La série d’Arno Gisinger rappèle en somme, avec une belle acuité, qu’un point de vue est tout à la fois un lieu et une opinion, indissociablement.
Clément Chéroux
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