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 | | Installation "147, rue Sainte-Catherine", Inkjet Print auf Tyvec (Unikat), 150 x 270 cm, 2004,
(c) Arno Gisinger, Courtesy: Galerie 779, Paris | |
| Rencontres photographiques in der Gironde
Inventaire malgré tout
von Benoit Hermet, erschienen in Heft 52 der Zeitschrift Le Festin (Winter 2005)
Text in französischer Sprache
Deux œuvres du photographe autrichien Arno Gisinger abordent la question de la spoliation des biens juifs, à Vienne et à Bordeaux. Au plus près du document, l’œuvre peut-elle témoigner d’un événement historique en évitant l’imposant devoir de mémoire ?
Pour leur cinquième édition, les Rencontres photographiques en sud Gironde1 accueillaient à l’automne dernier huit photographes internationaux autour du thème de l’engagement. Parmi eux, l’Autrichien Arno Gisinger exposait à la salle de danse de la compagnie Épiphane (Castillon-de-Castets) deux œuvres consacrées à la spoliation des biens juifs, à Vienne et à Bordeaux.
La première, Invent arisiert (2000), est une commande de l’État autrichien qui a chargé ce photographe, historien de formation réfléchissant à la représentation visuelle de l’Histoire et de la mémoire2, de mettre en valeur un événement exemplaire dans le processus de restitution amorcé depuis 1994 : la découverte dans un garde-meubles viennois du mobilier de huit familles juives dépossédées lors de l’« aryanisation » ayant suivi l’Anschluss de 1938.
Conçue comme un « mur d’images », Invent arisiert réunit plusieurs centaines de photographies présentant les objets retrouvés mais également ceux qui ont disparu, remplacés par leur nom. Leur trace fut conservée en raison de l’administration progressive des razzias sauvages des S.S., processus auquel peut renvoyer la rigueur de l’installation et son apparence désincarnée. Une indication laconique précise sur chaque image un numéro d’inventaire et les déplacements et transits des objets. Les plus quotidiens – un lit métallique, une chaise – côtoient des peintures ; sur le fond gris de la prise de vue, le portrait d’un enfant semble fragile pépite d’humanité détachée de la barbarie.
Élaborée à partir de faits historiques, l’œuvre d’Arno Gisinger s’écarte du seul inventaire par ce choix de représenter aussi l’absence dont la répétition irradie toute l’installation, la très faible quantité d’objets exprimant en un saisissant raccourci le sentiment d’une perte incommensurable. L’opérateur se tient en retrait mais il indique implicitement la valeur de l’image dans sa faculté à exercer un regard critique sur ce passé encombrant – la plupart des biens ont été dispersés après la guerre dans des administrations autrichiennes, sans être restitués à leurs propriétaires ou à leurs descendants. Toutefois, la juxtaposition de l’absence et de la présence, du négatif et du positif, inscrit dans cette capacité à témoigner l’impossibilité de tout dire, de réparer. En toute lucidité, l’image viendrait seulement éclairer le présent, « dans les marges déjà disparaissantes de ce qui reste à dire de l’événement3 ».
La seconde installation faisait écho aux travaux menés depuis 1999 à Bordeaux et Mérignac par la commission extra-municipale d’étude de la spoliation des biens juifs. Sous un imposant séchoir à tabac, une photographie de grand format était sobrement suspendue au-dessus d’une table et d’une chaise. L’image représentait la façade de l’immeuble situé au n° 147, rue Sainte-Catherine, en plein cœur de Bordeaux, loué par M. Josué Binoun à partir du 1er juillet 1932. Dépossédé de ses biens en juin 1942, il fut déporté le 26 octobre à Drancy, puis à Auschwitz, où l’on perdit sa trace. Ces précisions biographiques, ainsi qu’un résumé des recherches de la commission, le spectateur ne les découvrait qu’ensuite dans des textes exposés sur la table.
En conclusion, inachevée, je me permettrais une anecdote personnelle. Dans le silence d'une douce après-midi d’octobre, j’avais découvert, d’abord avec stupeur, puis avec un certain effroi, que cet immeuble était celui où j’avais vécu durant plusieurs années, sans rien connaître du destin de cet homme. On ne sait jamais tout à fait quels fantômes hantent nos murs, même les plus familiers…
NOTES
1 Organisées par l’association Imagiques du 18 septembre au 17 octobre 2004.
2 Voir www.arnogisinger.com
3 Robert Dulau, Arno Gisinger, l’ordinaire de l’oubli, 779 éditions, Paris, 2001.
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